mardi 24 janvier 2012

24 janvier 1477

Cela fait aujourd'hui 535 ans que Anne, fille de François et de Marguerite, naquit à Nantes, capitale du duché.

On dit que son père, le duc François II de Bretagne, mourut de chagrin en 1488 quand il apprit le désastre de St-Aubin-du-Cormier. A l'issue de cette bataille perdue au nord de Rennes contre l'armée du roi de France, le duché encore très largement indépendant devait peu à peu se rapprocher de son voisin envahissant.

Anne, qui n'a alors que onze ans, monte sur le trône du duché breton. Cette émancipation est contraire au traité de Guérande, qui prévoyait une descendance masculine à la tête du duché. Elle est finalement acceptée par la noblesse bretonne. Après un premier mariage, à l'âge de treize ans, au roi Maximilien d'Autriche, elle est contrainte de renoncer à cette union contraire aux intérêts du roi de France à la suite du siège militaire que celui-ci lui impose dans la ville fortifiée de Rennes. Elle se mariera finalement à Charles VIII, entraînant progressivement le rapprochement du duché et du royaume et, plus tard, l'union de la France à la Bretagne...

samedi 14 janvier 2012

Au ventre du nuage se dessine l'oasis où j'entendrai enfin mon nom

Annaig Renault est et restera toujours parmi nous, toujours en quête. Et nous partagerons toujours ensemble avec elle cette quête commune, cette recherche du chemin intérieur.

On pourrait évoquer bien sûr ses traits de caractère qui nous ont tant marqué : sa bonté et son amour, sa finesse d’esprit et sa grande sensibilité, sa grande volonté dont elle a témoigné jusqu’à la fin, et puis sa grande intelligence.

Mais ce que nous retiendrons aussi, c’est sa quête personnelle, sa recherche permanente du sens à donner à notre vie, à nos origines, à notre destinée.

Annaig a écrit comme en écho à une photo de Pierre Denniellou :
« Des terres oubliées du passé, un chant monte et s’évanouit,
Offrandes aux dieux qui nous ont enfantés
L’œil du poète qui en sait lire la trace
raconte l’odyssée de temps qui ne sont plus
Passagers clandestins aujourd’hui
des objets pleurent notre mémoire enfuie…
 
Serions-nous en exil de nous-mêmes ? »
Elle a fait de l’écriture en général, et de l’écriture en langue bretonne en particulier le média principal de cette quête. Dans un texte qu’elle m’avait adressé il y a quelques années et dans lequel elle abordait la question de ce choix, elle disait :
 « Je crois chercher dans l’écriture en breton un lien à ma grand’mère paternelle, originaire du Goëlo. Je n’ai jamais eu l’occasion de parler de sa langue maternelle avec elle ni mes parents apparemment, qui avaient pourtant fait le choix d’apprendre le breton dans leur exil parisien. Je n’avais que douze ou treize ans quand elle est décédée. Et, sans doute, chacune des pages que j’écris est-elle un pas vers elle, pour la découvrir enfin, elle qui, me semble-t-il, m’aimait bien ? »
Elle poursuivait :
« Comment le breton ne serait-il pas, en effet, un outil privilégié pour que l’auteur avance vers lui-même, vers l’autre de lui-même, le « soi-même comme un autre » ? Il ne se serait pas approché en vérité, de cette façon si spécifique, dans un autre idiome, quel qu’il soit. « Car la langue n’habille pas la pensée, elle est la pensée, elle fait la pensée  (Rachel Ertel dans « Brasier de mots »)» .
Et Annaig ajoute, en parlant de la langue :
« Chacune de celles qu’un écrivain maîtrise et utilise est une porte vers son chemin intérieur. (...) Chaque langue apporte une ou plusieurs réponses spécifiques à la question du sens de la vie. Chaque langue précise son univers. Le vocabulaire concernant l’eau et la pluie dans l’œuvre de Maodez Glanndour est phénoménal et cherche vainement son équivalent en français. »
C’est bien cette recherche du chemin personnel, du lien entre le passé et le devenir mais aussi du lien entre les différentes composantes de soi-même qu’exprimait Annaig, dans leur sens à trouver, dans leurs multiples dimensions, à la fois individuelles et intergénérationnelles.

Pour reprendre le titre d’un magnifique poème de Maodez Glanndour, j’aime à penser qu’Annaig poursuit aujourd’hui et pour toujours son Imram, cette odyssée des Celtes, cette navigation céleste vers Tír na nÓg, la terre de l’éternelle jeunesse qui nous réunira tous un jour.
Dans ce long poème, Maodez Glanndour a écrit :
Pa urzhie ar Furnez, er penn kentañ, derezioù ar boudoù,
P'edo ar Verb o stummañ pep tra diouzh e Skeudenn,
E chome difiñv ar Grouadelezh, disliv ha maro,
Betek ma teujout, galloud ha nerzh,
Ar stered a oa mut, an heol a hune disneuz,
Kleuz e vane ar furmioù
Betek ma teujout daveto.
Hag e plavjout warno galloudek.
'N ur zerc'hel anezho en astenn da zivrec'h,
Ha da dal ouzh tal ar bed,
Gant da vrennid ouzh e vrennid,
Gant da c'henou ouzh e c'henou,
E siljout ennañ da c'hwezh,
Hag ar vuhez a dridas ennañ.
(Quand la sagesse au commencement ordonnait les degrés des êtres
Quand le verbe façonnait toutes choses à son image,
La création restait sans mouvement, sans couleur, sans vie,
Jusqu’à ce que tu vins, puissance et force.
Les étoiles étaient muettes, le soleil endormi et sans beauté ;
Les formes restaient vides
Jusqu’à ce que tu vins en elles,
Et puissant, tu planas sur elles
En les tenant dans l’étreinte de tes bras
Et ton front contre le front du monde,
Ta poitrine contre sa poitrine,
Ta bouche contre sa bouche,
En lui pénétra ton souffle
Et la vie tressaillit en lui. )
Comme en écho à cette vie qui tressaille enfin sous la plume de Maodez Glanndour, un poème d’Annaig accompagne une magnifique peinture de Yves Grandjean :
« Le temps est-il venu
de la flamme et du verbe ?
au ventre du nuage
se dessine
l’oasis
où j’entendrai enfin mon nom…
 
Alors je pourrai naître. »
Kenavo dit, ma c’hoar karet. Ro deomp an nerzh hag ar sklerijenn.


Yann, Soñjoù ar meilher.

dimanche 1 janvier 2012

Le thermomètre du début d'année


Paul arpentait lentement la plage des Sables Blancs. La douceur de l'hiver le surprenait. On disait tellement, partout, que tout allait mal et que les habitants de la France étaient les champions du monde de la déprime. Le niveau de chômage battait un record historique, le coût de la dette imposait des économies publiques sans précédent, et rien ne laissait penser qu'un candidat ne soit en mesure d'ici mai prochain de trouver la formule politique de la pierre philosophale. Paul pensait gravement à la santé des uns et des autres, que la douceur n'épargnait pas, hélas.

La douceur, nouvelle valeur de l'année qui commençait ?

Paul rentra chez lui à la nuit tombante. Il savait que personne ne l'attendait vraiment, mais l'idée de pousser la porte de sa petite maison de pierre lui fit esquisser un léger sourire. Personne à la maison, mais la douceur du feu qui flambe dans la cheminée, et le bruit de la pluie contre les vitres. Et puis, il se disait que son téléphone ou son ordinateur avait fait le plein en son absence de sms ou de mails que l'on s'envoie entre amis ou en famille à ce moment de l'année. Il en avait reçu tellement, l'année dernière !

Attablé près du feu qu'il venait de relancer, Paul saisit fébrilement son téléphone. Son écran laissa apparaître deux messages, deux brefs textos que deux proches lui avaient adressé. Son ordinateur fut plus silencieux encore. Un mail trahissait cependant la présence d'une amie. Un mail. Un mail et deux textos... Au-delà de la déception qui le submergeait, Paul essaya de comprendre le silence soudain qui s'imposait à lui.

Le silence, toujours ce silence qui, même en cette période de réjouissances un peu téléguidées, s'invitait à sa table et le coupait du monde. Le silence, alors même que la souffrance de certains proches aurait dû se traduire par tant de messages spontanés et désordonnés. Décidément, pensa Paul, l'année 2012 commence étrangement. Qu'en était-il de 2011 ?

Paul fouilla au fond de sa mémoire. Au début de 2011, il se souvenait qu'il avait reçu dès le premier jour plusieurs dizaines de sms. Il réalisa brutalement que ces dizaines de messages amicaux n'étaient que les réponses aux sms qu'il avait lui-même adressé à tous ceux qui, de près ou de loin, avaient de l'importance pour lui. De l'importance ? Paul se servit un fond de Lagavullin. A ce stade des constats, il ne connaissait pas meilleur remède.

Cette année, il n'avait pas pris l'initiative d'envoyer des messages ou des correspondances. Il avait attendu, comme en écho à l'année dernière, de répondre aux messages amicaux qui ne manqueraient pas de lui arriver en nombre. Un mail et deux textos... Les réponses seraient rapides.

Il souffla un peu sur les braises du feu qui faiblissait, puis se resservit un fond de Lagavullin. La douceur de 2012 ne prenait pas le chemin qu'il avait imaginé. Paul se sentit trahi par le thermomètre, et vida son verre d'un trait.
Le meunier posa son journal à l'issue de cet article, et regarda autour de lui. Sa femme naviguait sur l'ordinateur, le chien attendait docilement la tombée du jour et les invités du midi s'étaient un peu assoupis dans le canapé, fatigués d'une nuit trop courte. Les restes de papier cadeau jonchant le sol témoignaient des moments amicaux du midi. Tout était calme, sinon luxueux ou voluptueux.
Il se dit que la vie au moulin était infiniment plus douce que celle de Paul ou de tant d'autres. Il songea qu'il avait de la chance et que, pour lui, l'année commençait plutôt bien. Il se dit aussi que, bien que moins célèbre que Paul dont il découvrait la vie dans son quotidien du soir préféré, il était autrement plus heureux que lui. Il pensait avoir trouvé la recette pour toujours : ne rien attendre et prendre la vie comme elle vient. Ça, visiblement, Paul ne savait pas faire. Le meunier vida son verre, se leva, et s'arrêta devant la fenêtre à contempler sa prairie. Sans le vouloir, il dérangea un héron qui déploya ses ailes et quitta lentement les lieux. Oui, pour le meunier, l'année commençait bien. Pourquoi fallait-il alors que la presse relate si souvent les soucis des célébrités et leur incapacité à cueillir le bonheur là où il se trouve ?

© Yann, Soñjoù ar meilher.