vendredi 27 août 2010

Plougrescant

    Paradis marin aux effluves d'algues brunes et de résineux, c'est sur ses hautes levées de galets arrondis par les vagues que j'ai appris à marcher, loin des chemins plats et faciles.
    J'ai surpris dès la petite enfance le déchaînement des forces naturelles, le vent glacé sur le visage encore poupin, le bruit effrayant de la fureur océane montant à l'assaut des rochers du gouffre de Castel Meur, le long roulement des galets ballottés par les vagues incessantes. J'ai découvert, émerveillé par son origine plus que par sa forme, une vertèbre de cachalot adossée à un muretin. J'ai titillé pour la première fois les innombrables bras des anémones fixées au fond des flaques d'eau de mer. Mon père m'a ouvert les yeux tout petit sur les mille beautés et pièges de la nature.
    J'ai perçu la peur de l'eau, cette traîtresse insaisissable, aux cris de mes parents lorsque je m'approchais trop près d'elle, m'exposant aux mouvements de la mer que l'on croit cadencés et dont on est l'innocente victime, aux narines remplies de sel et au souffle coupé. J'ai fait de l'eau un élément hostile, une fois pour toutes.
    Sur la route du Roudour j'ai admiré et senti mes premières fleurs de chèvrefeuille. Dans un bosquet près de Ker Radenn, j'ai assisté avec notre si bienveillante Léonie, pétrifié, au repas d'une grosse couleuvre sur son petit tas d'herbes sèches. Je me souviens encore aujourd'hui des pattes arrière du batracien pendant hors de la gueule déformée du serpent.
    Ces senteurs et ces aiguilles de sapin s'accumulant sur le sol noir depuis si longtemps, la petite maison où nous logions, perdue dans le sous-bois de la pension de famille et sans aucun confort, la présence inquiétante et pourtant bienveillante de ce vieux Monsieur Guillon à la barbe blanche : pas de doute, nous étions là au paradis des bons sauvages et nous nous apprêtions chaque matin, mes frères et moi à nous frayer avec courage un nouveau chemin, inconnu de l'Homme, dans cette Amazonie ô combien menaçante et délicieuse.
    Je me souviens du mouton blanc et du mouton noir - Eclair  et Penn du -, des chiens et des chats, des éclats de rire d'enfants et des bavardages des adultes installés à l'abri du soleil.
    Plougrescant, c'est aussi le souvenir des premiers mots incompréhensibles quand mon père prolongeait le repas du soir dans la grande salle à manger en bavardant longuement avec une famille galloise de passage. C'est Monsieur et Madame Omnès parlant entre eux en breton dans la cuisine du sous-sol alors que je passais là au hasard d'une interminable partie de cache-cache, m'arrêtant comme pétrifié par ma propre curiosité des langues inconnues.
    C'est l'odeur des vieux sièges en rotin, cuisant sous le soleil de la terrasse, se mêlant à celle d'une cuisine qui se préparait pour le midi - tomates farcies - et les relents suffocants et  pourtant attirants d'huile chaude d'une vieille Austin ou d'une Frégate qui venait de se garer, et autour de laquelle nous jouions.
  
    Plougrescant aura été l’école des premiers frissons, de peur, de joie, de forces et de sons. Un premier univers, comme un baptême de grande sensualité.



(c) Ar Meilher, Senteurs premières.

mardi 17 août 2010

Poèmes de passage (2)


La pluie imprime
De ses perles brillantes
Des mots éternels
Sur les lignes invisibles
D’un avenir incertain.

(c) Ar Meilher, Poèmes de passage (1999).

mardi 10 août 2010

Poèmes de passage (1)

Bae an Anaon

Il est des îles
Que le passeur n’atteindra pas
Il est des contrées
Proches de nos émois
Que seule notre lumière
Conçoit et investit.


(c) Ar Meilher, Poèmes de passage (1999).