Paul arpentait lentement la plage des Sables Blancs. La douceur de l'hiver le surprenait. On disait tellement, partout, que tout allait mal et que les habitants de la France étaient les champions du monde de la déprime. Le niveau de chômage battait un record historique, le coût de la dette imposait des économies publiques sans précédent, et rien ne laissait penser qu'un candidat ne soit en mesure d'ici mai prochain de trouver la formule politique de la pierre philosophale. Paul pensait gravement à la santé des uns et des autres, que la douceur n'épargnait pas, hélas.Le meunier posa son journal à l'issue de cet article, et regarda autour de lui. Sa femme naviguait sur l'ordinateur, le chien attendait docilement la tombée du jour et les invités du midi s'étaient un peu assoupis dans le canapé, fatigués d'une nuit trop courte. Les restes de papier cadeau jonchant le sol témoignaient des moments amicaux du midi. Tout était calme, sinon luxueux ou voluptueux.
La douceur, nouvelle valeur de l'année qui commençait ?
Paul rentra chez lui à la nuit tombante. Il savait que personne ne l'attendait vraiment, mais l'idée de pousser la porte de sa petite maison de pierre lui fit esquisser un léger sourire. Personne à la maison, mais la douceur du feu qui flambe dans la cheminée, et le bruit de la pluie contre les vitres. Et puis, il se disait que son téléphone ou son ordinateur avait fait le plein en son absence de sms ou de mails que l'on s'envoie entre amis ou en famille à ce moment de l'année. Il en avait reçu tellement, l'année dernière !
Attablé près du feu qu'il venait de relancer, Paul saisit fébrilement son téléphone. Son écran laissa apparaître deux messages, deux brefs textos que deux proches lui avaient adressé. Son ordinateur fut plus silencieux encore. Un mail trahissait cependant la présence d'une amie. Un mail. Un mail et deux textos... Au-delà de la déception qui le submergeait, Paul essaya de comprendre le silence soudain qui s'imposait à lui.
Le silence, toujours ce silence qui, même en cette période de réjouissances un peu téléguidées, s'invitait à sa table et le coupait du monde. Le silence, alors même que la souffrance de certains proches aurait dû se traduire par tant de messages spontanés et désordonnés. Décidément, pensa Paul, l'année 2012 commence étrangement. Qu'en était-il de 2011 ?
Paul fouilla au fond de sa mémoire. Au début de 2011, il se souvenait qu'il avait reçu dès le premier jour plusieurs dizaines de sms. Il réalisa brutalement que ces dizaines de messages amicaux n'étaient que les réponses aux sms qu'il avait lui-même adressé à tous ceux qui, de près ou de loin, avaient de l'importance pour lui. De l'importance ? Paul se servit un fond de Lagavullin. A ce stade des constats, il ne connaissait pas meilleur remède.
Cette année, il n'avait pas pris l'initiative d'envoyer des messages ou des correspondances. Il avait attendu, comme en écho à l'année dernière, de répondre aux messages amicaux qui ne manqueraient pas de lui arriver en nombre. Un mail et deux textos... Les réponses seraient rapides.
Il souffla un peu sur les braises du feu qui faiblissait, puis se resservit un fond de Lagavullin. La douceur de 2012 ne prenait pas le chemin qu'il avait imaginé. Paul se sentit trahi par le thermomètre, et vida son verre d'un trait.
Il se dit que la vie au moulin était infiniment plus douce que celle de Paul ou de tant d'autres. Il songea qu'il avait de la chance et que, pour lui, l'année commençait plutôt bien. Il se dit aussi que, bien que moins célèbre que Paul dont il découvrait la vie dans son quotidien du soir préféré, il était autrement plus heureux que lui. Il pensait avoir trouvé la recette pour toujours : ne rien attendre et prendre la vie comme elle vient. Ça, visiblement, Paul ne savait pas faire. Le meunier vida son verre, se leva, et s'arrêta devant la fenêtre à contempler sa prairie. Sans le vouloir, il dérangea un héron qui déploya ses ailes et quitta lentement les lieux. Oui, pour le meunier, l'année commençait bien. Pourquoi fallait-il alors que la presse relate si souvent les soucis des célébrités et leur incapacité à cueillir le bonheur là où il se trouve ?
© Yann, Soñjoù ar meilher.
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