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dimanche 18 août 2013

Des ronds dans l'eau...


Dans l'eau qui nous sépare et qui nous réunit
Ainsi qu'îles uniques d'archipel infini,
Dans la mer de la mère, la mer de notre mère,
Silencieux océan d'où émerge la vie,
Dans le vert paradis des amours enfantines
Déjà plus loin pour nous que l'Inde et que la Chine,
Loin du noir océan de l'immense cité,
Loin du fracas stupide, des tourments et des cris,
Des brillantes cascades et des sombres torrents
Qui nous brûlent les yeux et nous soûlent l'esprit,
Notre âme retournera un jour - ou le suivant
Et elle aura plaisir comme hier et avant,
A l'ombre reposante d'un temple japonais,
A y sculpter des ronds très ronds qui glisseront
Si lentement vers notre éternité.

Yann, Soñjoù ar meilher.

dimanche 19 mai 2013

Un tamm goulou (a spot of light)

Paul marchait dans le sentier en pente. A sa gauche, l'Aven traçait de lents méandres porteurs de secrets et d'imprévu. Le silence l'avait enveloppé. L'eau ne montrait aucun mouvement et les arbres ne pouvaient agiter leurs feuilles en ce début de printemps.
Seule, au loin, l'installation d'un mareyeur grésillait faiblement près du moulin-mer. Même les oiseaux respectaient le calme des lieux et s'affairaient sans bruit à traquer de modestes palourdes dans la vase.

L'hiver se prolongeait un peu trop et Paul était lassé de ce crachin persistant, pénétrant et froid, qui glaçait le sang et l'esprit. Cela faisait une heure qu'il longeait le chemin sans but précis. Il était ici comme il aurait été ailleurs, loin de chez lui. C'était ainsi, il faut bien être quelque part à chaque instant et le voisinage de l'estuaire et du domaine boisé du Hénant était probablement plus profitable que celui du domicile.

En cheminant sur la terre et les feuilles mortes, Paul faisait le vide dans sa tête, loin des éternels devoirs de la condition humaine. Il faisait corps avec la nature. Les courlis, les chênes séculaires, le coucou sonore et secret, tous les êtres en place le rappelaient à une autre condition, plus forte et plus conforme à ce qu'il sentait de la vie.

Tout-de-même, cette grisaille durable devenait insupportable, se disait-il tandis qu'il relevait le col de son manteau. Paul grommelait intérieurement quand il abordait le dernier virage du sentier. Et brusquement, sous ses yeux incrédules, un puits de lumière transperça le manteau gris du ciel et vint frapper durant quelques instants les prairies en face de lui, de l'autre côté de la rivière. 

(c) JMR
Il s'arrêta, contempla cette énergie éphémère puis repris sa marche. Il s'avait que la nature avait lu ses pensées. Il se rappela le poème d'Eugène Guillevic, le chêne qui parlait ou se parlait. A n'en pas douter, les êtres des lieux avaient entouré Paul de leur bienveillance.

Il suffit de penser et de sentir les signes, se dit Paul tandis que, une fois rassasié de cette illumination, il terminait rapidement sa marche sous une pluie naissante. Le printemps viendra bien, si on sait l'observer.

Yann, soñjoù ar meilher.

dimanche 3 février 2013

Karen Knorr, ou la clé d'entrée

 Karen Knorr est une photographe américaine qui provoque le spectateur en lui imposant dans ses mises en scène la présence incongrue d'un intrus. Une girafe au musée, un singe au pied de la statue de marbre, un paon dans l'antichambre d'un palais indien...
Les critiques d'art se sont parfois moqué de ces photos dont l'originalité réside principalement dans la présence décalée et parfois facile d'une personne ou d'un animal inattendu introduit dans une scène, par ailleurs assez convenue. La démarche est pourtant plaisante parce qu'elle bouscule et force à chercher une clé au mystère qui s'offre à nos yeux, même s'il est vrai que l'artiste a peut-être parfois abusé du procédé.

Ayan et Layla font connaissance un peu par hasard dans un parc en plein coeur de la ville. En ce dimanche glacial de janvier, le lieu est désert : visiblement, les enfants et leurs parents sont restés au chaud. Très vite, la discussion s'engage sur la lumière du lieu, la couleur des arbres sous la neige, les sifflements timides des premiers merles de l'année.
Layla, jeune femme passionnée par la peinture et la photographie, parvient à convaincre Ayan de visiter le musée voisin, non sans quelques réticences de sa part. -Tu sais, moi et les musées... lui dit-il tout en se laissant entraîner par la jeune femme, par son regard et sa voix, et surtout par sa passion de l'art.

Une fois franchie l'entrée, Ayan réalise que l'exposition risque d'être lassante. Il a toujours eu quelques difficultés avec les expositions permanentes, surtout quand elles sont constituées de tableaux très classiques dans leurs encadrements sévères dégoulinant de dorures. Le couple avance lentement dans les couloirs de marbre, contournant ici et là des potiches ou des statuettes définitivement figées dans ce lieu.

Au moment d'entrer dans la pièce suivante, Ayan s'arrête brutalement et fixe l'embrasure de la porte. Layla, qui a remarqué de loin le mouvement de son ami (est-il vraiment un ami ? cela fait une heure seulement qu'elle le connaît !), s'approche rapidement. Les deux visiteurs sont dévorés du regard par une jeune femme nue, assise en tailleur sur le parquet précieux et imposée dans ce décor kitch par Karen Knorr : ils sont entrés dans le portrait d'une fille, Portrait of a girl.

Karen Knorr  - Portrait of a girl
- Regarde, Layla, ils ont posé une sculpture au sol !
- Oui, c'est une oeuvre parmi les oeuvres, répondit-elle doucement.
- C'est étrange. Elle garde l'entrée des oeuvres suivantes... Comment accéder à la salle que l'on devine derrière elle ?
- Cela dépend de toi, Ayan. 
- Elle semble attendre. Sait-on ce que désirent les oeuvres ?
Layla esquissa un sourire énigmatique.
- Ahah ! Le désir des oeuvres... Je ne te promets pas une réaction de l'icone de gauche... mais en ce qui concerne l'"oeuvre" devant nous, il se peut qu'avec galanterie elle accepte une veste sur ses épaules...
Ayan réfléchit quelques instants. S'il se dévêt pour répondre aux désirs de l'oeuvre, dit-il finalement, le visiteur devient-il oeuvre à son tour ? Et l'oeuvre se mue-t-elle en visiteuse ?

Le jeune homme restait pétrifié par le regard de la sculpture, qui dépassait en intensité celui des visiteurs présents.
- C'est une bonne idée, l'interactif, répondit-elle, il faut un tiers pour observer... et un visiteur consentant et ouvert à l'art nouveau, prêt à des expériences sur lui...
- Il reste à le trouver...
- Ah, toujours cette première fois...
- Oui, toujours. Il serait souvent si simple de passer tout-de-suite à la deuxième fois. Cela faciliterait ici l'initiative du visiteur-oeuvre dans son expérimentation.
- Je ne suis pas sûre, c'est la première fois qui est l'expérience, même avec toute sa maladresse. La suite est déjà du vécu et attire moins les visiteurs....
- Tu as raison, répondit Ayan qui ne savait plus où poser son regard. Je réfléchis à la meilleure façon d'avoir accès à la salle et d'en avoir la clé. Se pourrait-il que cette sculpture me l'offre ?
- On revient au point de départ, tu te souviens, dans le parc. Tu te poses trop de questions... les musées restent décidément trop intellectuels... on rate l'essentiel, la bonne perception de l'oeuvre.
- Oui, mais cette sculpture est elle-même une question. C'est tout sauf intellectuel.
- Alors c'est à nous de nous poser les bonnes questions : quels ressentis, quelles émotions ? L'art me défait de toute inhibition...

Le visage de la jeune femme s'éclairait peu à peu, tandis que la statue de chair fixait intensément Ayan.

- La question est d'abord sensorielle. Je te parle d'émotion, de lâcher-prise, pas de mental. Ayan était un peu contrarié d'être pris par Layla pour un intellectuel de plus. Intellectuel, dans le sens que son amie sous-entendait : le type qui sait tout et analyse tout simplement parce qu'il a fait des études d'art.
- Dire qu'on s'est arrêtés sur une seule oeuvre, soupira Layla. La visite va prendre des jours... L'émotion s'est donné rendez-vous.
- Des jours, oui peut-être... A nous d'en décider. A t'entendre, ça serait une épreuve que de s'émouvoir ? Je connais désormais Karen Knorr grâce à toi. Bon sang, cette présence à l'entrée de la pièce, ce regard ! Faisons simple : cette statue vivante barre notre chemin vers l'autre pièce et nous conduit à chercher une clé d'entrée. Nous sommes en demande, et elle aussi. C'est moins savant que bien des explications, mais c'est plus sensoriel. C'est mon côté études courtes... Et si le lâcher-prise devant une oeuvre valait quelque chose ?
- Ayan, j'ai eu une réaction d'homme visiteur. Si maintenant je reste femme, cette statue ne me dérange pas et je n'ai pas de clés à trouver. C'est si simple d'être une femme ! Imaginons que la statue soit un homme : je ne chercherais probablement pas à visiter le reste, car j'aurais eu la pièce maîtresse de la collection.
- Peut-être le but de l'auteur est-il précisément de jouer avec le visiteur, à chercher le besoin ou non de circuler plus loin dans le musée. Le désir de découvrir la salle suivante s'est transformé en désir de trouver la clé pour y entrer. La sculpture vivante posée devant nous est comme toutes les autres : elle ne se touche pas seulement avec les yeux.
- Il ne faut pas tenter de voir plus loin... en femme je ne vois pas autrement que de me demander où est Adam...ou son gardien.

Tandis que les deux visiteurs poursuivaient leurs échanges, sans trop savoir ce qu'il convenait de faire devant cette oeuvre vivante si énigmatique et désirable, une nouvelle image s'imposa brusquement à eux.


Karen Knorr - The two virgins.


- Regarde ! Un visiteur a enfin trouvé la clé... J'imagine que pour lui, la chercher aura été plus important encore que la trouver. Il a su pénétrer dans la nouvelle salle...
- Il y avait juste à demander à ce qu'elle fasse la visite accompagnée, pourquoi nous n'y avons pas pensé... On a décidément l'esprit étroit !
- Oui, on intellectualise trop. L'autre visiteur a trouvé la clé de la pièce suivante parce qu'il a su aimer la statue pour elle-même, pendant qu'on perdait du temps à deviner ses désirs, ou à tenter de lire les nôtres en miroir. Et Portrait of a girl est revenu à la vie en devenant The two virgins

Yann, Soñjoù ar meilher.



samedi 24 mars 2012

Gregory Crewsdon, la photographie entre peinture et cinéma



 A mi-chemin entre la peinture d'Edward Hopper et le cinéma d'Alfred Hitchcock, l’œuvre photographique de Gregory Crewsdon transcende résolument la question du support. Peu importe que le spectateur soit placé devant une toile ou un écran, et la classification habituelle du média serait un enfermement de botaniste.

 Nous sommes témoins d'une scène instantanée, immobile et pesante, dont le sens nous échappe car nous n'avons pas vu le début du film et nous n'en verrons pas la fin. Le génie de Crewsdon est là : sur la base d'une scène ordinaire, nous donner à imaginer le scénario que seul notre intime peut créer. Et la galerie de Luhring Augustine à New-York qui présente son œuvre pourrait utilement proposer le divan du psychanalyste en lieu et place de son mobilier conventionnel.


  Crewsdon maîtrise la technique picturale à un niveau exceptionnel, qui contribue fortement à susciter la surprise et l'émotion. Les moyens qu'il met en œuvre sont à la hauteur de l'objectif visé : échapper définitivement à la raison pure.

Yann, Les pensées du meunier.
       
  

samedi 9 juillet 2011

Ashes and snow

Gregory Colbert nous offre un chemin graphique éblouissant de l'Afrique à l'Inde, en un pays de communion totale entre l'homme et l'animal, le sable et l'eau. Entre la puissance et la tendresse des corps, le velours et le crevassé des peaux. Des images où règnent la sensualité, la confiance et l'abandon absolu.

(c) Gregory Colbert
(c) Gregory Colbert
(c) Gregory Colbert
Le photographe canadien nous offre plus que de simples images. Gregory Colbert nous prend par sa main magique dans un long et doux parcours initiatique fait d'amour et de paix.
Ar Meilher, Les pensées du meunier.

dimanche 27 mars 2011

Liskorno

Un instant, au hasard, en arpentant les abords de la maison natale de sa grand-mère.
Paul aperçut une photo de famille à l'abandon sur le coin d'une fenêtre, à l'image de la modeste masure inhabitée depuis des lustres.
Qui pourrait dire aujourd'hui ce qu'avaient vécu ces hommes il y a cinquante ou soixante ans, dans cette campagne retirée du Goëlo ? Qui pourrait même encore fournir aujourd'hui leur identité ?
Paul pensa à ces portraits vendus ici ou là dans les brocantes, à ces images figées de couples paysans endimanchés, inconnus de tous aujourd'hui, objets de transactions modestes et pathétiques... Décorer son manoir prétentieux de photos d'ancêtres pour le rendre authentique !
Au-delà de ce marchandage un peu misérable auquel s'adonnent quelques citadins en mal de passé absent, Paul pensait surtout ici à ces deux hommes. Cette maison abandonnée avait été leur espace de joie et de labeur. Quelle mémoire devait rester d'eux à présent sur la terre des vivants ?
  
Photo JMR


Ar Meilher, Les pensées du meunier.

dimanche 13 mars 2011

Equinoxe

A deux minutes de mon moulin se trouve une plage très peu visitée. Les rouleaux, lentement, s'y épuisent dans un son sourd et mat couvert par le cri strident des hirondelles de mer.

A chaque fin d'hiver, la mer offre au vagabond que je suis des trésors étalés ça et là sur le sable, produits vivants d'une longue et savante récolte. Ce spectacle ne se produit qu'une fois par an, à l'approche de l'équinoxe, à l'époque où la mer va et vient sur la grève, pour féconder la terre et le sable dans un ballet sensuel et envoûtant.

Je me suis rendu aujourd'hui à Karreg an Touseg, ce rocher de granit dominant la plage comme une sentinelle, et où les offrandes de l'océan sont en général les plus belles. Ma promenade fut un pur bonheur, et mon regard ne cessa pas d'aller d'un point à l'autre de la plage, des galets lisses et doux, très doucement polis par la mer, aux plus beaux châteaux de sable construits par la rencontre des vagues et du vent.

Comme on m'apprît à le faire, je m'assis prudemment pour mieux admirer encore ces visions qui m'étaient offertes. Malgré la tentation qui me pressait, je sus rester immobile. Les meuniers qui eurent ces visions comme moi et tentèrent naguère de les approcher, furent pétrifiés au contact de ces scènes minérales et leurs corps giseraient aujourd'hui au fond de la baie.

(c) photo Weissenegger
(c) Yaroslav Belouzov


Ar Meilher, Les pensées du meunier.

lundi 6 décembre 2010

Couleurs vivantes

(c) JMR 2010

samedi 30 octobre 2010

Elévation

(c) JMR, 2010.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins.

Ch. Baudelaire, Élévation in Les fleurs du mal.

J'avais lu cela il y a bien longtemps. 
Entre deux livraisons de blé, mon temps libre m'a permis de lire ou de relire quelques classiques de mes études de meunerie. Mes champs lumineux et sereins accueillent qui veut. Et s'il y a du brumeux dans l'existence de celui qui vient, je fais le pari qu'il y aura de la lumière en partant. La brume ici, c'est seulement le visuel, les bois et l'étang dans le clair obscur, entre mer et terre, entre nuit et jour, entre silence et musique.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.

jeudi 2 septembre 2010

Poèmes de passage (3)

Beg ar Raz
Caresse furtive
D’une lumière improbable
Perçant la muraille de la solitude.
La sentinelle
Fière et distante
Mérite aujourd’hui l’effleurement de la tendresse.

(c) Ar Meilher,  Poèmes de passage (1999).

mardi 17 août 2010

Poèmes de passage (2)


La pluie imprime
De ses perles brillantes
Des mots éternels
Sur les lignes invisibles
D’un avenir incertain.

(c) Ar Meilher, Poèmes de passage (1999).

mardi 10 août 2010

Poèmes de passage (1)

Bae an Anaon

Il est des îles
Que le passeur n’atteindra pas
Il est des contrées
Proches de nos émois
Que seule notre lumière
Conçoit et investit.


(c) Ar Meilher, Poèmes de passage (1999).

samedi 23 janvier 2010

Que reste-t-il à découvrir ?


 J'ai découvert un peu par hasard l'œuvre d'Eugenio Recuenco. Il a inventé et réalisé ce que nous, photographes dans la tête, nous avions seulement rêvé. Il nous ouvre une porte vers nos propres mondes, avoués ou non, et nous invite à en franchir le seuil. En marchant sur le sentier de ses photos, oserons-nous partir sans crainte dans notre découverte intérieure ?

J'ai parfois pensé que la photographie avait été entièrement épuisée et qu'elle avait rendu depuis longtemps son dernier souffle inspiré. J'ai souvent craint qu'il ne nous restait plus qu'à nous satisfaire de récurrences parfois talentueuses. Eugenio Recuenco nous prend par la main pour nous rassurer et nous montrer le contraire.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.