vendredi 22 avril 2011

Dilemme

Vous avez été plusieurs à me dire qu'une pause gourmande, surtout le Jeudi Saint, pouvait passer auprès de certains pour de la provocation.

Je m'en excuse auprès d'eux. Il faut prendre cet intermède comme une parenthèse un peu faiblement humaine dans un contexte mondial assez éprouvant. Disons que c'est une annonce anticipée de fin de carême. En plus, la gourmandise n'est ici que visuelle, ce qui peut créer une souffrance psychologique de bon aloi par les temps qui courent...
Bref, un peu de douceur dans un monde de brutes.
Si cette vision est pour vous insupportable, vous êtes autorisés à attendre Pâques. C'est bientôt.

Aujourd'hui, c'est Vendredi Saint. Le poisson est de mise. Oui mais voilà : que doivent faire ceux qui adorent le poisson ? Manger du steack de soja transgénique ? Dilemme... Dans mon moulin, j'ai tout ce qu'il faut pour préparer de si belles soles meunières. Je vous propose un bel exemplaire de 35 ko attrapé sur le net (a new model of fishing net, of course).


Yann ar Meilher, Les pensées du meunier.

jeudi 21 avril 2011

Pause gourmande

mardi 19 avril 2011

Histoire pour adultes (suite)

 [suite de Histoire pour adultes].

J'attends de nouveau le train. Ce n'est pas une réelle passion, même si j'adore voir surgir à mes pieds la puissance de la locomotive en plein élan le long du quai. C'est, en tout cas, une nécessité professionnelle. A ce devoir involontaire s'ajoute un plaisir absolu : faire le plein de journaux et de magazines, et partager avec eux le silence du voyage, entrecoupé hélas des sonneries insupportables des téléphones portables de quelques voyageurs.

Par le plus grand des hasards, j'ai retrouvé dans mon quotidien mondial un nouveau petit entrefilet sur Paul, cet ancien garçonnet soumis à la violence sourde de son frère aîné.

Paul avait entretemps creusé dans sa mémoire. Avec les années, les évènements étaient devenus plus clairs, presque plus présents, et s'ordonnaient parfaitement. Ce qui avait été pour lui un puzzle ancien de moments de souffrance sans lien entre eux, donnait désormais lieu à un ensemble terrible et cohérent : il avait été le souffre-douleur de son grand frère, de façon constante et construite.


Lui revenait en effet en mémoire cette nuit dans la maison de campagne. Il devait avoir neuf ou dix ans. Son frère, abusant de son statut de parrain, avait proposé le soir à table que Paul dormit avec lui dans son grand lit. Après un moment d'étonnement suivi d'un silence réservé, l'accord parental fut donné et les deux frères s'allongèrent quelques temps après pour un sommeil réparateur. Sommeil ? Assurément pas. Le frère aîné proposa à Paul diverses choses inconnues de lui. Il ne comprenait rien, ni le spectacle, ni les ordres du frère qui n'avaient aucun sens pour lui.


Il se rappela que cette scène fut brutalement interrompue par l'arrivée de leur mère, intriguée par quelques bruits ou par le rai de lumière sous la porte. Cela aurait pu être une libération, ce fut en réalité une source folle d'inquiétude. Blotti nu sous les draps, dans une chambre brutalement éteinte pour faire croire qu'elle l'était depuis le début de la nuit, qu'aurait-il trouvé à dire si, par malheur, sa mère avait soulevé la couverture ?


Le passage de leur mère n'avait duré que quelques instants, et l'alerte avait été chaude. Le frère aîné décida de finir seul son jeu, lumière allumée, coincé entre l'armoire et l'angle de la chambre. Il interdit à Paul de le regarder. Cela dura un peu de temps, puis le frère vint s'allonger enfin. La nuit pouvait commencer.


Avec l'âge, tout ceci aurait pu être oublié. Étonnamment, l'incident avait pris de l'ampleur car il s'inscrivait désormais dans un ensemble qu'il découvrait brutalement. Abusé, il pensait qu'il avait été abusé, physiquement autant que moralement. Les coups de poing silencieux et douloureux, durant des années, puis maintenant ce triste jeu nocturne.


Paul, désormais, avait décidé de tout dire. Il ne pouvait plus le garder pour lui depuis si longtemps. Il avait aussi décidé, plus de quarante ans après, d'aller rencontrer son frère pour lui parler et, surtout, pour que ce dernier lui demande aujourd'hui son pardon. Une telle démarche pouvait encore avoir du sens, et Paul pensait qu'il était aujourd'hui prêt.

Le TGV arriva en gare. Je jetais le journal et ce fait divers dans la corbeille du quai et j'ouvris la portière. Pour une fois, le train était à l'heure, et je ne risquais pas un retard à cet important rendez-vous professionnel : je me rendais à l'assemblée générale des meuniers, et je savais que le ministre du Blé y serait présent dès l'ouverture.

Ar Meilher, Histoire de Paul.

mardi 5 avril 2011

Des p'tits trous qui font couler la confiture partout

Le craquelin est une invention de la "Haute-Bretagne", c'est-à-dire de cette partie de la province qui parlait gallo et non breton.
Que reste-t-il aujourd'hui de l'identité de cette demi-région, mi-française et mi-bretonne, mi-terrienne et mi-maritime, entre deux hésitations, entre deux mouvements, entre deux époques ?

Beaucoup de choses, vous diront sans doute les érudits qui, entre deux recherches savantes, réussiront encore aujourd'hui à retrouver l'âme de la chasse brisée dans les intonations improbables d'un jeune universitaire gallésant, petit martien de retour au pays qu'il n'a jamais connu. Je laisse ce débat ennuyeux aux experts, qui sont d'autant plus nombreux que quelques collectivités financent les yeux fermés des recherches à l'avenir incertain.

Moi, je garde de ce merveilleux pays qui a vraiment existé d'innombrables souvenirs. Aujourd'hui me revient celui du craquelin de Plumaudan, merveille du petit-déjeûner, tranche de brioche grillée creuse comme une paume généreuse, capable de retenir une dose déraisonnable de confiture de rhubarbe. Son seul défaut était de rappeler que la gourmandise se mérite : par des petits trous dont la présence était incompréhensible s'écoulait perfidement,  en goutte-à-goutte, le trésor sucré à peine sorti du pot.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.