mercredi 12 mai 2010

Rue de Rennes


Cette porte d'arrivée dans Paris, reliant sans véritable transition les meuniers bretons échoués dans les années 1930 sur les quais de Montparnasse, avec femme et enfants, dans le concert des Pacific fumant de toutes leurs ouïes, aux salons feutrés les plus intellectuels de St-Germain-des-Prés, et peut-être de l'Europe entière... 

La rue de Rennes est un coup de sabre, vif et tranchant, imposée à la poésie du VIème arrondissement. Elle est une liaison improbable entre deux quartiers dont les vocations se sont toujours ignorées. L'architecture du baron Hausman et les ajouts Art Déco de l'immeuble Félix Potin se sont vu bousculées dans les années 1970 par une intrusion monumentale et phallique que nous serions si heureux de voir rasée un jour.

Les Magasins Réunis ont disparu, remplacés par un célèbre temple commercial du livre et de la vidéo. Les vastes Bugatti et Delahaye ont cédé leur place aux Tractions Avant, puis aux R8, puis aux Twingo. Les galeries de tableaux ont fermé, bousculées par l'irruption des distributeurs de billets.

Les générations se suivent et s'ignorent. L'économie a pris le pas sur l'Art. Mais il reste un geste qui traverse les âges et que personne ne pourra réparer : ce fameux coup de sabre, vif et tranchant, imposé à la poésie de tout un quartier.

 

Ar Meilher, Les pensées du meunier.

lundi 22 février 2010

Méfions-nous de l'eau qui dort

Le cinéma coréen, comme son cousin du Japon, a construit un art subtil dans lequel tous les sentiments ne forment qu'un ensemble, que notre pensée logique peine à qualifier.
La paix et la violence, l'amour et la haine, la beauté et la laideur ne sont que des valeurs extrêmes d'une même entité du quotidien.

Il faut la sensibilité subtile de Kim Ki-Duk, le réalisateur de l'Ile, pour camper de telles pulsions de mort sur ce lac si calme, si protégé, si simplement beau. Le silence des habitants de passage, la brume sur l'eau dormante, les rencontres d'amants dans ces alcôves flottantes, la patience intemporelle des pêcheurs à la ligne...

Toute cette langoureuse étendue d'eau héberge dans ses bicoques flottantes et sur sa côte une population énigmatique et éphémère, tissant un réseau de forces extrêmes et insoupçonnables. Cet écrin pacifique, niché douillettement au creux des collines d'Extrême-Orient comme le serait un enfant endormi entre les deux seins de sa mère, sera le creuset d'une profonde pulsion d'amour, jusqu'à la folie, le témoin d'une mort silencieuse et terrifiante, comme une lente et évidente déliquescence des corps et des esprits.

 Méfions-nous toujours de l'eau qui dort. Si nous nous penchons à sa surface, nous y voyons la partie cachée et refoulée de notre être, celle que nous voulons ignorer et dont Kim Ki-Duk nous rappelle, dans l'Ile, l'existence absolue.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.

jeudi 4 février 2010

Du clapier à l'assiette, le parcours du lapin

Tu as été un bon professionnel, et c'est exactement cela que nous attendions de toi. Comme un pro, tu as rempli ta lourde mission de lapereau : contre la chaleur bienveillante mais provisoire d'une mère attentive, tu as assimilé jour après jour les fibres sucrées du trèfle incarnat et de la luzerne. Ton appétit a été sans faille, et nous t'avons vu progressivement prendre le volume espéré.

Le petit mammifère aux aguets, au nez frémissant et tremblant, chéri des enfants de la ferme toujours prêts à faire un petit détour pour te taquiner avec une paille, s'est mué lentement en un bel adulte placide et musclé. Admiré par ta maman, convoité par quelques femelles du même clapier, tu t'es préparé sans le savoir à une issue professionnelle exceptionnelle : le don de toi, dans la totalité de toi-même.

Un beau matin, on t'a sorti de ta maison trop petite, au grand soulagement de tes frères, de tes sœurs et de tes cousins un peu à l'étroit. Tu croyais alors pouvoir vivre à l'air libre, et profiter du soleil qui appartient à tous. Pourtant, ton professionnalisme t'interdisait de savourer un plaisir si solitaire : il ne serait pas dit que tu serais faible au moment où chacun attendait tout de toi.

On t'a assommé prestement, tu te souviens. Tu sais, le coup qui porte ton nom, que tu n'as pas vu venir et qui t'a définitivement anesthésié. On t'a vidé de ton sang. On t'a enlevé ton beau pyjama de fourrure d'un geste impudique, alors qu'il y avait des gens qui regardaient. Là encore, à ce moment à la fois cruel et réjouissant de ton parcours, tu as su rester un grand professionnel. Tu as offert tes chairs fermes et suaves à la chaleur de la cocotte de fonte émaillée, et tu es resté très longtemps, tel un héros, dans ce sarcophage de métal brûlant.

Ton apothéose fut fêtée dans des assiettes de faïence, sur une table volontairement dressée pour la cérémonie. Les ripailles furent à la hauteur de ce que tu n'avais pas espéré, mais vécu. Elles furent, elles aussi, professionnelles. Ton râble, tes abats, tes cuisses donnèrent lieu à des commentaires de félicité, et même ta tête et sa précieuse matière furent l'objet d'attentions les plus extrêmes.

J'écris cela, lapin, pour qu'on se souvienne.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.

samedi 23 janvier 2010

Que reste-t-il à découvrir ?


 J'ai découvert un peu par hasard l'œuvre d'Eugenio Recuenco. Il a inventé et réalisé ce que nous, photographes dans la tête, nous avions seulement rêvé. Il nous ouvre une porte vers nos propres mondes, avoués ou non, et nous invite à en franchir le seuil. En marchant sur le sentier de ses photos, oserons-nous partir sans crainte dans notre découverte intérieure ?

J'ai parfois pensé que la photographie avait été entièrement épuisée et qu'elle avait rendu depuis longtemps son dernier souffle inspiré. J'ai souvent craint qu'il ne nous restait plus qu'à nous satisfaire de récurrences parfois talentueuses. Eugenio Recuenco nous prend par la main pour nous rassurer et nous montrer le contraire.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.

vendredi 15 janvier 2010

Histoire pour adultes

Je viens de lire la presse. Je me sens mal. Un article discret, dans le coin modeste d'une  page de mon quotidien mondial, a attiré mon attention. Je n'en reviens toujours pas, et pourtant l'auteur n'est pas un plaisantin. Je viens de réaliser ce qu'a pu vivre Paul (c'est le pseudo choisi par le journaliste pour protéger l'intéressé) chaque jour.

Paul vivait chez ses parents, avec ses nombreux frères et sœurs, dans le quartier bourgeois d'une grande ville d'Europe. Dès l'âge de six ou sept ans, cet enfant est battu avec constance et minutie par un de ses frères aînés. Chaque jour, après le repas du soir, dans l'obscurité de la chambre des garçons et à quelques mètres seulement de la salle-à-manger familiale où les parents s'attardent pour bavarder. Un peu de bruit dans le couloir, celui des frères et sœurs qui débarrassent sans conviction la table du dîner. Table débarrassée ou non, cette pièce restera profondément laide et petite. Ces cliquetis de fourchettes et de couteaux que l'on ramasse viennent opportunément couvrir le bruit sourd des coups de poing que Paul reçoit sur l'épaule. Des coups forts donnés par un frère de treize ou quatorze ans, mais qui ne laissent pas de trace. Le T-shirt de l'enfant amortit l'impact. Tout cela fait silencieusement très mal, mais ne se verra pas.


Chaque soir, Paul est convoqué par son bourreau. Chaque soir, il se rend docilement à la convocation. Chaque soir, les parents restent un peu attablés. Chaque soir, les enfants débarrassent la table avec la même résignation, dans l'ignorance réelle ou supposée du petit drame qui se joue dans la pièce d'à-côté. Chaque soir, Paul sèche ses larmes avec sa manche de pull. Il ne faut pas de traces. C'est une condition paradoxale pour que la violence du jour puisse cesser. Pas de traces de coup, pas de cris, pas de larmes, pas de plainte auprès des parents. Paul croit à ces conditions, il croit à la parole de son bourreau parce que c'est son frère. Et il se met chaque soir à espérer.


Parfois, tel soir, il y a relâche. L'ombre du grand frère se faufile dans le couloir et franchit silencieusement la porte de l'appartement. Le loup est ainsi dehors chaque jeudi soir, et c'est pour l'enfant un infini soulagement. Ce sont là hélas des trêves trop rares et trop courtes.
Dès le lendemain, Paul se rend à sa nouvelle convocation. Il n'en connaît pas le motif, ce qui ajoute à son désarroi. Les reproches sont pourtant clairs : il a transgressé un interdit connu de lui. Le plus souvent, c'est parce qu'il a mangé du pain beurre au dîner, ce met de choix que l'on se dispute sans doute dans les familles bourgeoises. Une autre fois, c'est parce qu'il a parlé un peu, il a bien répondu à une question d'école posée par le père, il s'est montré curieux de quelque chose. Paul ne comprend pas, il ne voit pas où est le mal. Simplement, il sourit moins, il parle moins, il réussit moins bien à l'école. Son enfouissement programmé en silence lui procure des tics nerveux. A dix ans, il pisse encore au lit et sa mère rouspète parce que ça fait encore des draps à laver. Il y a bien un  lave-linge, mais le sèche-linge est en panne depuis plus de douze ans.
Le scenario se reproduit à l'identique durant de longs mois, de longues et interminables années.


Avec l'âge, Paul ose prendre de l'assurance. Pas au point de se rebeller cependant contre des scènes que, désormais, d'autres frères connaissent. Un jour pourtant, il rassemble ses forces et va trouver sa mère pour lui relater sa souffrance avec pudeur, en se censurant en grande partie sur la triste réalité parce que dans les familles bourgeoises, on ne dit pas tout et un garçon de dix ans doit maîtriser ses émotions. Il s'est senti plus fort, il a dû saisir une occasion, il ne se souvient plus, et il est allé raconter un peu les choses.
Mais c'était croire au paradis, un peu comme au caté où il allait. Sans doute jugée invraisemblable, cette histoire de gamin put librement se poursuivre pendant longtemps encore. Les seules traces s'en trouvaient dans le cœur, jamais sur les épaules ou sur les joues.


Il fallut une révolution, qui vint enfin, pour mettre un terme très involontaire au calvaire de l'enfant : l'accès du grand frère à une nouvelle chambre, une vraie chambre, comme en ont tous les ados des familles bourgeoises.
Car en effet, le journaliste nous apprend en fin d'article que le frère violent attendait chaque soir, pendant qu'il s'en prenait à son cadet, que la salle-à-manger soit enfin libérée. C'est là, dans l'odeur des reliefs de repas, près d'un plancher jonché de miettes diverses, qu'il allait passer la nuit dans un méchant lit pliant coincé entre la table et le mur.


Paul a été retrouvé récemment à plusieurs centaines de kilomètres de son appartement d'enfance, alors que chacun le croyait disparu. Bien sûr, il a beaucoup changé et même ses nombreux frères et sœurs ne le reconnaîtraient pas facilement. Mais il n'a rien oublié. Il attend encore aujourd'hui les excuses de son bourreau d'alors, et, si elles ne viennent pas, il se dit qu'il ira les chercher. Il n'a que faire des problèmes de chambre à coucher du grand frère. Il a seulement en tête les chocs à l'épaule, la douleur, le regard haineux de l'adolescent coupable, le silence prudent des frères et sœurs, et plus encore celui de ceux dont il aurait dû obtenir l'aide la plus absolue. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement la trahison passée des grandes personnes qui lui fait encore mal. C'est simplement, et surtout, l'oubli.
Il a encore envie de parler, de dire des choses graves, mais il a depuis longtemps et définitivement perdu toute confiance auprès des adultes, notamment de ceux dont le rôle est de protéger. Il paraît que, devenu adulte à son tour, c'est plutôt aux enfants qu'il aurait envie de parler aujourd'hui.

C'est un peu fou, ces histoires de bonne famille. Celle-ci, perdue dans les faits divers de mon journal, m'a occupé un peu pendant que j'attendais sur le quai de la gare un train qui n'est jamais venu.

[à suivre]

Ar Meilher, Histoire de Paul.

dimanche 6 décembre 2009

Eloge de la télé à table

Ça occupe bien, ça fait du bruit pendant qu'on mange, ça apprend des choses, on peut pas louper les super achats à faire pour Noël, on sait en quoi il faut rouler. Ça cause pendant les silences, c'est plus facile, y'a pas besoin de demander "ça a été votre journée ?", la question qui tue les ados. Et puis y'a Greys'anatomy,comme ça on sait quel toubib va coucher ce soir avec la petite interne qui vient d'arriver et qui hésite encore, comme si c'est elle qui avait le choix.
Et puis y'a aussi Expert Miami ou un truc comme ça. Génial, ils te trouvent le coupable du meurtre de la 5th Avenue rien qu'en grattant un peu le clito de la dépouille de la victime et en mettant le procureur sur écoutes à son insu.
Tout ça, ça permet de manger.
On est crevé, on a bien travaillé pendant douze heures, on a fait des études pour comprendre qui on est, comment ça marche, où allons-nous, le big bang, la transgression de la mer triasique sur le continent paléozoïque, Lucy et ses copains et copines australopithèques, Rembrandt, Soutine. Mais ça fait longtemps qu'on a rangé tout ça, on a encore plein de trucs importants à apprendre, la main de Thierry Henry, les mensurations de la Miss France 2010, les protections intimes ultrafines qu'on ne voit même pas sous les jeans supermoulants, le dernier 4x4 français, apporter du camembert chez les gens quand on est invité à manger chez eux parce qu'on n'est pas sûr qu'il y en aura alors que c'est trop bon, le camembert.

Il paraît que les médecins déconseillent fortement la télé en mangeant. Motif : la phase visuelle du repas serait indispensable à une bonne digestion. Moi qui pensait qu'il y avait peut-être d'autres raisons. Encore raté.

Ar Meilher, Les pensées du Meunier.

jeudi 8 octobre 2009

L'alchimiste


"Je suis vivant, dit-il au jeune homme, tout en mangeant une poignée de dattes, dans la nuit sans lune et sans feu de camp. Et pendant que je mange, je ne fais rien d'autre que manger. Quand je marcherai, je marcherai, c'est tout. Et s'il faut un jour que je me batte, n'importe quel jour en vaut un autre pour mourir. Parce que je ne vis ni dans mon passé ni dans mon avenir. Je n'ai que le présent et c'est lui seul qui m'intéresse. Si tu peux demeurer toujours dans le présent, alors tu sera un homme heureux. Tu comprendra que dans le désert il y a de la vie, que le ciel a des étoiles, et que les guerriers se battent parce que c'est là quelque chose d'inhérent à la vie humaine. La vie alors sera une fête, un grand festival, parce qu'elle est toujours le moment où nous sommes en train de vivre, et cela seulement".

Paolo COELHO, L'Alchimiste.

mardi 10 mars 2009

Un aller simple

"Un soir où il déprimait à la bière, je lui ai raconté une des légendes de mon atlas. Ca se passait à Cuba, c'était l'histoire de José Luis, un garçon de notre âge qui chaque nuit devenait un jaguar, grâce à la magie vaudou qui apprend à sortir de ses rêves sous la forme que l'on veut. Et il consacrait ses nuits, José Luis, à essayer de séduire une femelle jaguar qui ne voulait pas de lui. Il était très malheureux et, au lieu de faire son travail de jaguar, chasser pour nourrir ses petits, il sombrait dans le désespoir - et de même pendant la journée, où il négligeait de couper sa canne à sucre pour soupirer après la femme d'un autre - si bien qu'à la fin les esprits vaudou en ont eu marre, et un matin on a retrouvé José Luis, sur son lit, dans son corps d'homme, dévoré par le jaguar de ses rêves.
Pignol avait haussé les épaules en disant que j'étais un utopiste. Ca m'avait déçu qu'il ne comprenne pas le sens de mon histoire, qui était pourtant clair : si on se laisse aller au désespoir, on finit mangé par les rêves qu'on a vécus de travers.
J'ai quand même cherché "utopiste", dans les dictionnaires de la FNAC. C'est un M. Morus qui a inventé ce nom en 1516, d'après les mots grecs signifiant "qui n'existe en aucun lieu". C'est agréable. "

Didier van Cauwelaert, Un aller simple.

dimanche 8 mars 2009

France Dimanche...

Une brasserie parisienne, comme tant d'autres... Je suis là, Porte d'Orléans, un dimanche midi.
Les salariés du déjeûner en semaine ne sont pas là. L'urgence non plus. Les couples d'amants de la fin d'après-midi non plus. Le dimanche midi, les brasseries sont prises d'assaut par les sorties en famille.
Des familles qui se retrouvent ainsi, trois générations ensemble, autour du gigot d'agneau. Le menu de la brasserie, c'est la lecture de la journée. C'est une activité qui dure un peu. Mamie sait qu'elle prendra du gigot, mais la lecture de tout le menu est nécessaire. C'est une lecture entrecoupée des questions bienveillantes de la fille ou du gendre, sur le confort de la banquette où trône grand'mère. Pas de grand'père à table. De toute façon, c'est la Journée de la Femme.
Le petit pleure dans sa poussette. La mémé s'attendrit un peu, puis se détourne. Il est un peu trop braillard, on n'aurait pas accepté ça, de son temps.
Le garçon du restaurant, qui est déjà passé deux fois, repart enfin avec la commande. Du gigot bien sûr, c'est dimanche. Un peu rosé, mais sans pommes-de-terre. Les haricots verts passent mieux.
Un silence s'intalle, de courte durée. La mémé est bien. La fille et le gendre sont heureux de voir que la mémé est bien. Le bébé est occupé à ronger avec méthode la lanière de la poussette.
Au fait, c'était bien le match hier ? Non, pas terrible... 3-0, j'ai éteint la télé avant la fin.

-"C'est pour qui le haut de dorade ?" La mamie n'est pas servie la première. Le reste de la commande arrive bientôt. Les trois générations sont bien. La France du dimanche est bien.

La France entière ? Sans doute pas. A une autre table, une fillette de huit ans se fait attraper par son père. Elle a du mal à finir son plat. Toute la famille a déjà fini, sauf elle. Elle minaude, avale une petite bouchée et la garde si longtemps dans la bouche qu'elle n'a sûrement plus de goût.
Je l'aperçois de dos. Sa petite queue de cheval blonde tranche avec les cheveus bruns et courts de son père, placé en face d'elle. La fillette tourne la tête vers sa mère, en espérant un secours qui ne viendra pas.
Un peu plus tard, le père quitte seul la table après s'être emporté une nouvelle fois.
-"On dit MERCI MAMAN", hurle-t-il au visage de la frêle silhouette. Les voisins tournent la tête, commentent l'incident, se disent sans doute que c'est un vrai père avec l'autorité qu'il faut. C'est si rare aujourd'hui...
Puis la mère et la fillette à la queue de cheval quittent enfin la table à leur tour. La petite fille se tourne vers moi en mettant son manteau. Elle a une tête d'ange, et le regard du Petit Prince de Saint-Exupéry. C'est une princesse, c'est évident, et son père ne l'a même pas vu.

A l'évidence, si c'est la Journée de la Femme, ça n'est pas nécessairement la fête des princesses.

Ar Miliner, Les pensées du meunier.

vendredi 26 décembre 2008

Nantes, le 29 septembre 2007 (de notre correspondant local en Bretagne du Sud). [La rédaction s'excuse pour le retard de parution].

La capitale de l'ancien duché n'arrêtera pas de nous étonner. On se souvient de ce conférencier nantais, invité à exposer l'offre des formations en langues vivantes étrangères dans notre département, qui s'était fait subtiliser sa serviette à la chambre de commerce et d'industrie, un vendredi en fin d'après-midi tandis que le flot des gens normaux se dirigeait vers les grèves ensoleillées de l'été indien. Las, ce fonctionnaire expert et dévoué mais imprudent avait du en convenir au bout de quelques jours : l'étourderie supposée d'un participant était bel et bien de la malveillance. Inimaginable, au sein d'une telle assemblée. Les démarches auprès des autorités de police s'étaient avérées infructueuses. Lors du dépôt de plainte, notre homme naïf s'était même vu opposer une fin de non-recevoir : il lui fallait impérativement fournir le numéro confidentiel des cartes sim des deux téléphones volés avec la serviette, donnée que tout un chacun possède naturellement à tout moment, mais qui lui faisait hélas défaut.
La préposée à l'accueil de l'hôtel de police, pour l'aider avec humanité, l'informait que ce numéro figurait précisément sur ses cartes sim. Il lui suffisait donc de revenir plus tard muni de ces précieuses données... Notre homme surmené, qui avait déjà pris une heure pour rien sur son temps de travail, grommela en quittant les lieux des propos incompréhensibles et hors sujet sur les blondes ou sur les belges, ou sur les deux.
Plus prudent qu'il y paraissait, notre nantais avait fait bloquer ses cartes sim malgré le coût que cela représentait. Au passage, il apprenait qu'il était désormais abonné à une garantie vol, qu'il n'avait pas sollicitée et qui lui coûterait 6 euros par mois. Un nouvel appel, puis un autre, lui permettaient de contester et d'annuler cette décision commerciale abusive. En clair, le moral de notre victime frolait à peine le niveau supérieur de ses chaussettes.

Mais à Nantes, il est toujours permis d'espérer. Etait-ce l'âme bienfaisante de notre ancienne duchesse, planant au-dessus du cours de la Loire et du Quai de la Fosse ? Etait-ce la lunaison, particulièrement opulente ces jours derniers ? Nul ne le sait, mais chacun ici en convient : Noël est arrivé dans notre bonne ville ducale avec 3 mois d'avance. La serviette, ses dossiers et ses deux téléphones portables ont été rendus à son propriétaire par la fautive qui, la confondant avec une autre, s'en était prestement emparé. Coupable mais honnête, cette femme était venue écouter notre conférencier qui lui avait appris, parait-il, de bien belles choses sur l'enseignement international en Loire-Atlantique. Et comme pour mieux prouver que c'était vraiment Noël, elle était directrice de crêche.

Réconforté et mieux instruit sur la nature humaine, notre homme remercie tous celles et ceux qui ont bien voulu lui communiquer de nouveau leurs coordonnées téléphoniques. Désormais, il sait de nouveau qui l'appelle.

Ar Meilher.