mercredi 30 mars 2011

Fin d'hiver

Lui :
L'effluve lointaine de la jacinthe
La pluie qui frappe à la croisée
Le jour s'étire langoureusement.

Elle :
La douceur d'un soleil d'hiver
La nostalgie d'un amour enfui...
J'entends le pépiement des mésanges
La branche tremble de l'oiseau reparti.

J'ouvre la fenêtre
Je laisse entrer les pins de la colline.

La brume recouvre les champs d'hiver.
Mon cœur est plein de mystère.

Le ciel gris et bleu, immobile
Le sifflement du premier merle
Je laisse la douceur du soir me pénétrer.

Des souvenirs de bonheurs perdus.
Le feu crépite.
Le parfum du cerisier en fleur
Une femme s'endort au bord du lac.
Le fracas de l'orage
L'odeur puissante de la terre est entrée dans la maison.

Je m'assieds sur l'herbe
Le canard s'envole
Et déchire le silence.


La transparence d'une soie bleue.
J'entends le bruit de la solitude.

Les formes de la femme sous la soie bleue
Le craquement du parquet
J'arrête ma lecture.

Le livre fermé.
J'entends son souffle suspendu.
L'orage au loin.

Une silhouette devant la porte
Un parfum lointain, à peine perceptible
Le pigeon prend son envol en silence
La nuit me prend dans ses attentes.

Le rêve d'une femme tremble dans mon désir,
Je bois les instants à venir.
Le papillon de nuit à la lampe s'est brûlé.

Un détachement félin en ombre chinoise
L'angélus du soir sonne à la cathédrale.
Mon corps s'éveille
Un passant chantonne dehors.

Les mauves du soir ont disparu
L'obscurité m'entoure,
Une main diaphane sur mon front.

Un front soyeux
Dans ma main hésitante
Nous respirons
La fenêtre est ouverte.

L'envol d'une soie a obscurci la lampe
immobile est l'instant.
Le feu crépite.

La faible lueur de l'âtre rompt le jeu d'ombres chinoises.
Il voit la peau sous la soie.
Dehors, les pas pressés d'un piéton.

Une soie tombée au sol
Une peau de nacre
L'horloge égrène le temps.

Une nacre dorée par les flammes qui dansent.
Il veut danser lui aussi.
Un regard furtif vers le corps qui s'avance, en partie découvert.

L'émoi du renouveau
Le souvenir de l'extase
Dans le ciel la lune est pleine.

Le vent dehors fait danser les feuilles.
Il entend leurs frôlements.
Il veut respirer cette peau.
Il est ému.
Il reconnaît cette scène.

La paume sur une peau de soie
Une arabesque amoureuse
Dans la nuit un cri lointain.

Elle marche lentement vers lui.
La soie qui couvrait ses épaules tombe au sol.
Il croit voir ses seins parfaits.
Mais elle se retourne, comme par jeu.
Il aime le jeu proposé.
La nuit est tombée.

Un frôlement doux et parfumé.
La beauté de ta lande hivernale
Reçoit l'impalpable présence de l'ange du jour.

Un frôlement subtil de peaux.
Un parfum de femme, comme un nuage accroché à la nuque.
Les mains se cherchent et se défont.
Une fenêtre claque au loin dans le vent.

Les embruns m'enveloppent
La force de l'océan
Je vois l'immuable beauté se poser sur le monde.

Un désir montant
Un silence soudain.

Osmose des âmes
Invisibles accords
Je respire l'expir de Brocéliande.

La séduction est un art subtil et difficile.
Il reprend son livre en pensant à elle.
Au loin un merle commente le destin.


Ar Meilher, Les pensées du meunier.

dimanche 27 mars 2011

Liskorno

Un instant, au hasard, en arpentant les abords de la maison natale de sa grand-mère.
Paul aperçut une photo de famille à l'abandon sur le coin d'une fenêtre, à l'image de la modeste masure inhabitée depuis des lustres.
Qui pourrait dire aujourd'hui ce qu'avaient vécu ces hommes il y a cinquante ou soixante ans, dans cette campagne retirée du Goëlo ? Qui pourrait même encore fournir aujourd'hui leur identité ?
Paul pensa à ces portraits vendus ici ou là dans les brocantes, à ces images figées de couples paysans endimanchés, inconnus de tous aujourd'hui, objets de transactions modestes et pathétiques... Décorer son manoir prétentieux de photos d'ancêtres pour le rendre authentique !
Au-delà de ce marchandage un peu misérable auquel s'adonnent quelques citadins en mal de passé absent, Paul pensait surtout ici à ces deux hommes. Cette maison abandonnée avait été leur espace de joie et de labeur. Quelle mémoire devait rester d'eux à présent sur la terre des vivants ?
  
Photo JMR


Ar Meilher, Les pensées du meunier.

samedi 26 mars 2011

Mouezh Maria Carta / Voice of Maria Carta

Mouezh Maria Carta... O tont euz kreiz an Douar, hag o sevel betek an Oabl hag an Neñvoù.
Mouezh Maria Carta a laka hor spered da nijal.
Soñj m'boa anezhi pa oan yaouankoc'h. Aet eo bet da anaon da 60 vloaz... em eus desket hiziv.
Maria Carta, ro deomp nerzh da vouezh ha da ganaouennoù.






Ar Meilher, Les pensées du meunier.

dimanche 13 mars 2011

Equinoxe

A deux minutes de mon moulin se trouve une plage très peu visitée. Les rouleaux, lentement, s'y épuisent dans un son sourd et mat couvert par le cri strident des hirondelles de mer.

A chaque fin d'hiver, la mer offre au vagabond que je suis des trésors étalés ça et là sur le sable, produits vivants d'une longue et savante récolte. Ce spectacle ne se produit qu'une fois par an, à l'approche de l'équinoxe, à l'époque où la mer va et vient sur la grève, pour féconder la terre et le sable dans un ballet sensuel et envoûtant.

Je me suis rendu aujourd'hui à Karreg an Touseg, ce rocher de granit dominant la plage comme une sentinelle, et où les offrandes de l'océan sont en général les plus belles. Ma promenade fut un pur bonheur, et mon regard ne cessa pas d'aller d'un point à l'autre de la plage, des galets lisses et doux, très doucement polis par la mer, aux plus beaux châteaux de sable construits par la rencontre des vagues et du vent.

Comme on m'apprît à le faire, je m'assis prudemment pour mieux admirer encore ces visions qui m'étaient offertes. Malgré la tentation qui me pressait, je sus rester immobile. Les meuniers qui eurent ces visions comme moi et tentèrent naguère de les approcher, furent pétrifiés au contact de ces scènes minérales et leurs corps giseraient aujourd'hui au fond de la baie.

(c) photo Weissenegger
(c) Yaroslav Belouzov


Ar Meilher, Les pensées du meunier.

Fin d'un royaume (suite)

[Suite de Fin d'un royaume. ]

En s'éloignant lentement de la maison, Paul traversa le terrain en friches qui avait été le lieu de tant de bonheurs simples : cueillir quelques noisettes à point, s'approcher d'un rouge-gorge familier, nourrir nuitamment de quelques papillons un crapaud solitaire... Les chênes avaient beaucoup grandi, les coudriers avaient envahi les clairières entre les grands poteaux électriques désormais inutiles, grandes grues de ciment vainement élancées vers le ciel.

A l'approche du portail rouillé et sorti de ses gonds, barrière émouvante d'un autre temps, Paul aperçut une silhouette connue. Marthe se tenait près de la route, dans un recoin de la haie. Marthe ! Cette ancienne amie, camarade de classe au collège du canton, revenue au village pour quelques jours mais bientôt repartie à son enseignement de latin et de grec ancien.

Une fois passée sa surprise, il lui compta sa vision décalée des ouvrages classiques jonchant le sol vermoulu de la masure à l'agonie. Il lui compta aussi sa tristesse tranquille, sa perception des signaux qu'aujourd'hui encore son père lui adressait trente-deux ans après son départ... Des signaux étonnamment nouveaux, comme s'ils voulaient dire quelque chose qu'il n'avait alors jamais perçu.

Marthe l'écouta avec attention, lui prit la main et lui parla doucement.

- Dans le volume d'Eschyle que tu as vu, dit-elle, il y a Les Perses.  Le chœur , qui a appris du messager la défaite de Xerxès le démesuré et la ruine de l'armée,  évoque au bord de sa tombe, et assez fort pour que l'appel gagne le royaume des ombres, l'âme du bon roi Darios : "M'entend-il le roi défunt, égal aux dieux ? m'entend-il lancer en langue barbare, claire à son oreille, ces appels gémissants, lugubres, où se mêlent tous les accents de la plainte ? Je clamerai haut mes souffrances infinies : du fond de l'ombre, m'entend-il ?" ...
  Paul, tu m'as ramenée à cette rêverie que j'ai parfois du devenir de nos livres après nous, de nos livres qui en effet parlent de nous... à ceux qui nous connaissent. Puissions-nous , lorsque nos livres parleront de nous à notre place, être plutôt des Darios que des Xerxès... Tu devrais lire le roman de Laurent Gaudé "La porte des Enfers". C'est aussi une belle histoire de père et de fils.

Paul sourit à Marthe. La langue barbare, Darios, le royaume défunt... Se pouvait-il qu'il y ait eu un sens exact, comme un acte délibéré, à cet empilement faussement désordonné de livres écornés sur le parquet vermoulu et poussiéreux ? Il la serra contre lui quelques instants, ne sachant plus où il était. Il savait seulement que, malgré la fin de son  apparence matérielle, le royaume était encore présent ailleurs.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.