Sinistre bicoque préfabriquée pour les uns, elle était pour les autres le pied-à-terre rêvé, porte d'entrée dans un univers rural riche en amis, en découvertes, en opposition complète avec l'évidence de façade de la ville.
Cinquante années de fréquentations irrégulières, d'inconfort, mais aussi de communion avec l'essentiel. Le son métallique de Mathurine, la fidèle cloche de l'église paroissiale, le renard rouge remontant l'allée sans savoir qu'il était observé, les crapauds timides et nocturnes, les insectes aux mille couleurs, l'orage et la pluie, la chaleur et la neige, les thuyas, l'oseille et les logan berries... Le cidre et la traite des vaches, l'aviron sur le lac voisin, la mobylette, les rires, l'espoir du premier baiser, le vent qui apporte le son saccadé du rapide Paris-Brest...
Ces odeurs d'herbe mouillée et d'humus, ces sons cristallins, ces frôlements de joue, ces centaines de kilomètres à vélo, ces croisements de regards vite détournés, Paul s'en souvenait comme si cet espace sensoriel l'avait quitté juste ce matin. Un espace qui l'avait à jamais marqué, construit, comme on pose durablement les fondations d'un être.
Ce ne sera désormais plus que des souvenirs profondément enfouis, impossibles à transmettre, à palper, à expliquer. La maison devenue ruine vient d'être vendue, et avec elle une partie de la mémoire de cette enfance à la fois heurtée et insouciante, joyeuse et grave. Une vraie école de la vie.
Paul regarda les quelques photos qui lui restait de ce temple si rarement pris en cliché. Il choisit celle-ci, accessible à sa seule mémoire, à travers l'écran troublé de ses larmes d'ancien enfant.
(c) photo JMR 2010 |
Ar Meilher, Les pensées du meunier.
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