En ce dernier dimanche d'avril, ses pensées empruntaient des chemins tortueux. Beaucoup d'incompréhension stagnait dans son esprit, à l'évocation de la Shoah et de la libération des camps d'extermination, renforcée cette année par le centenaire du génocide arménien. Une incapacité à comprendre la juxtaposition de l'indicible horreur avec le fait qu'elle fut commise par des représentants de l'humanité. Que des personnes cultivées, érudites et soucieuses de vérité, comme son propre père, aient pu nier l'évidence, le faisait sombrer dans un abîme de perplexité sur le mécanisme humain. Cela le renvoyait à des propos entendus quand il était enfant, sur les Juifs et sur les Arméniens. Des phrases terribles qu'il s'efforçait d'oublier et de piétiner, comme on le fait d'une bête immonde qui tente inlassablement de ressortir la tête du tas d'ordure qui l'a vue naître.
Mais il y eut pire encore que d'avoir tenté d'exterminer des peuples, se disait-il. Il y eut la volonté de faire en sorte qu'ils n'aient pas même existé. La disparition des corps par incinération ou par enfouissement dans d'immenses fosses communes trahissait la volonté de faire disparaître toute trace d'existence antérieure.
Le devoir de mémoire est là devant nous, comme une évidence. Il ne rendra pas la vie aux hommes et aux femmes, juifs, arméniens, tziganes, homosexuels, à qui elle fut retirée au seul motif qu'ils étaient juifs, arméniens, tziganes, homosexuels. Mais ce devoir nous rappellera inlassablement qu'ils ont existé.
Paul se rassura en se disant que les générations actuelles et futures auront à cœur de déployer cette mémoire sur le parcours des années et siècles à venir. Il ralluma sa télé, et prit en cours de route une émission sur l'Histoire des Chaldéens et des chrétiens d'Irak.
Yann, Soñjoù.
Créature infiniment complexe que l'être humain. Comme le dit Paul, ces mêmes hommes capables du pire, ou prêts à le nier, sont aussi des être cultivés et sensibles, des pères et mères de famille qui aiment leurs enfants, qui peuvent être touchés par l'art, par la nature et la beauté de la vie.
RépondreSupprimerPeut-être que l'homme d'aujourd'hui n'est qu'un chaînon imparfait. Entre l'homme primal d'un côté, mû par des instincts de groupes et des peurs inconscientes de survie, et qui lui font rejeter l'autre, lui, là, le différent, l'étranger, le juif, le noir, l'aborigène, le migrant, la juppe trop longue... et l'homme de demain, conscient de la partition infime mais unique qu'il joue au sein d'une seule et même famille humaine, et bien obligé d'être solidaire avec tous car c'est aussi son seul salut.
A noter qu'il a sans doute fallu, pour Paul, énormément de courage, de questionnements, et d'introspection pour remettre en cause un héritage culturel, souvent si simple à répéter indéfiniment, en suivant les chemins tout tracés de sa propre éducation. Il est aussi la preuve que c'est possible. Si lui l'a fait, alors d'autres peuvent le faire, et certains le feront. L'homme de demain est déjà en chemin.
« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. »
Antoine de Saint-Exupéry - Citadelle (1948)
Paul m'a dit se souvenir d'expressions terribles entendues pendant son enfance : "Il était juif et pourtant honnête...", "lave ce fruit, il a été touché par les mains d'un nègre...", "je n'ai rien contre les Juifs, mais j'écrase les moustiques avant qu'ils ne me piquent"... "C'est un nez crochu né sur les bords de la Vistule"...Le racisme ordinaire, d'autant plus terrifiant qu'il est le relais de propos de haine tenu à l'origine par des obscurantistes incultes, mais tenus par un homme éduqué et issu d'un milieu humaniste, soucieux du maintien de la diversité culturelle, militant pour l'enseignement des langues minoritaires et notamment du breton. Passionné de langues, ayant appris ou commencé d'apprendre le russe, l'allemand, le finnois, le gaélique, le gallois, l'arabe...
RépondreSupprimerSans doute faudra-t-il à Paul avancer dans sa connaissance de l'Histoire des années 30, de la montée du nazisme et de l'extrême-droite française pour mieux comprendre comment la haine peut gagner un jour l'esprit de toute une population, y compris celui de ses élites sociales.
Stefan Zweig a écrit à ce sujet des pages fortes et dramatiques. Mais souvenons-nous aussi qu'il a mis fin à sa propre vie devant l'extension de la haine chez ses compatriotes allemands les plus humanistes...