dimanche 18 septembre 2011

Le Luco


Photo (c) JMR
Quand il pénètre dans le jardin du Luxembourg, Paul entre toujours de plain-pied dans son enfance. Il aime que ce retour se fasse plutôt par la porte donnant rue Vavin, près du petit bâtiment de brique de la Société d'Horticulture. Il ne connait pas de jardin qui ménage autant d'endroits si différents, de l'intimité d'une petite pelouse à l'ombre des marronniers, près des ruches qu'il craignait un peu autrefois, jusqu'à ces vastes espaces à la française balisés des hautes statues des reines de France, ponctués par le bassin central et son jet d'eau, et limité par la royale façade du Sénat scrupuleusement surveillée par d'impressionnants gardes à galons rouges munis de mitraillettes.

C'est sans nul doute la partie qui longe la rue Guynemer, puis le Lycée Montaigne et qui enfin revient vers l'Orangerie qui était son jardin du Luxembourg. Elle englobait les deux champignons, ces petites maisonnettes naïves qui abritaient les bureaux des gardiens et où il se  rendait avec hâte quand, par malheur, il avait égaré une écharpe ou un pull-over dans le jardin. Ces champignons se transformaient alors en caverne d'Ali-Baba, les enfants y trouvaient un peu de tout mais pas souvent leur regretté vêtement ou, catastrophe suprême, la montre de communion dont ils savaient pourtant le bracelet fatigué depuis plusieurs jours.

Paul et ses camarades laissaient l'autre domaine, celui qui s'étend de la partie centrale jusqu'au boulevard St-Michel, aux grandes personnes perdues dans des pensées qu'ils supposaient profondes. Ils entraient là dans le Quartier Latin, celui des facultés et des gens sérieux, qui les attirait peu et qui, de toute façon, leur était simplement interdit. Gare en effet à celui qui s'égarait à l'extérieur du périmètre de jeu autorisé par les abbés de l’École Bossuet. La connaissance de cette frontière faisait l'objet de la première récréation de l'année scolaire.
Que de précieux francs dépensés dans la petite boutique de Lulu à acheter boules de coco, réglisses et roudoudous, malabars et carambars. Si les enfants arrivaient les premiers, c'est-à-dire s'ils avaient prestement quitté la salle de classe du lycée dès la sonnerie, franchi à la hâte la rue Auguste Comte avec l'aide bienveillante du policier avant de s'élancer aveuglement dans les allées du jardin au risque de renverser quelques paisibles retraités, alors ils pouvaient parfois espérer obtenir de Lulu qu'elle veuille bien réchauffer pendant quelques secondes le macaron à 20 centimes qui les faisait déjà saliver, avant l'arrivée des bataillons de camarades dont la faim et la soif n'allaient pas laisser à notre marchande le moindre instant de répit.

Le Luco , ce n'était pas tout-à-fait hélas la campagne dans la ville même si, parfois, Paul devait se résoudre à s'y rendre à pied le dimanche alors que ses copains, eux, se rendaient dans la 404 de leur papa vers quelque maison de campagne, palais magique dont la description le faisait rêver le lundi matin dans la cour de récré. 
C'était plutôt à la fois un lieu de fête permanente, un territoire de chasse et de jeu, un havre de paix où se mêlaient en harmonie les enfants turbulents et bruyants que Paul et les gamins de son âge pouvaient être. Un lieu hors du temps et de la ville, placé sous l’œil attentif de mamans qui poussaient lentement des landaus carrossés de velours sur les allées bitumées, et des vieux messieurs capables de passer un temps sans limite à viser, tirer, pointer, puis mesurer avec componction les quelques centimètres qui séparaient deux ou trois boules d'acier.

Yann, Les pensées du meunier.

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