dimanche 18 mars 2012

Il y a 45 ans, le Torrey Canyon

  
 Le 18 mars 1967 vers 9h du matin, le supertanker Torrey Canyon s'échoue par temps calme dans les rochers des Seven Stones, à une encablure des îles Scilly, à la pointe de la Cornouaille britannique.
Le pétrolier, peu manœuvrable depuis sa récente "jumboïsation" dans les chantiers navals japonais, faisait route du Koweit vers l'Europe du nord pour livrer sa précieuse cargaison, cet or noir sans lequel notre économie contemporaine s'arrête complètement du jour au lendemain.

L'enquête montrera l'enchaînement des erreurs humaines qui conduira au naufrage. Les courants sont sous-estimés alors que la météo est plutôt clémente, le lieutenant de quart inexpérimenté prend pendant le repos du commandant des décisions catastrophiques sans autorisation tandis que les côtes se rapprochent dangereusement, la navigation automatique reste enclenchée aux abords des récifs alors que le commandant, de retour aux manettes, la croyait débrayée.

Le contenu des six citernes éventrées va se répandre dans l'océan et la mer celtique. Au total, une partie importante des 120 000 tonnes de pétrole épais contenues dans les flancs de l'épave sont déversées, puis migrent lentement en surface. Les vents et les courants portent cette marée noire et visqueuse dans la Manche. La "marée noire" ! C'est la première fois que cette expression récente est réellement utilisée. Sa diffusion dans le public est immédiate : marée noire est une expression qui devient désormais tristement populaire... La première marée noire de l'aventure humaine va se dérouler sous nos yeux, dans le théâtre précieux et fragile de nos eaux celtiques.

Les moyens de lutte sont dérisoires. Pour éviter le déversement de la totalité de la cargaison, la Royal Navy bombarde l'épave au napalm pour brûler ce qui reste dans un incendie géant. Mais il est trop tard, et l'essentiel de la catastrophe s'est déjà produite.


Le 9 avril 1972, le pétrole touche les côtes du Trégor et noie dans un linceul marron et puant les magnifiques rochers de granite rose. Au-delà, c'est toute la vie marine qui est engloutie, les oiseaux de mer, les poissons, la flore. Et c'est bien sûr aussi l'activité de pêche en Manche qui est arrêtée. Quant au tourisme estival de 67, il est bien mal engagé en ce début de printemps.


Les pelles, les seaux, les détergents qui sont des remèdes au moins aussi toxiques que le mal... L'arsenal de lutte est inadapté, inexistant, non prévu. Personne n'avait visiblement imaginé qu'un pétrolier puisse un jour s'échouer sur des récifs... Les pouvoirs politiques n'ont rien à proposer, et s'engagent à prévenir les très improbables pollutions à venir à l'aide d'un plan nouveau qui prendra bientôt le nom de plan Polmar. Les juristes ne sont pas en reste, et définissent en urgence les termes du droit international en matière de pollution marine.

Les populations peuvent désormais dormir en paix : si une impossible future marée noire devait à nouveau se déverser, nous saurions punir les responsables et éviter l'arrivée du mazout sur nos côtes. Ayons confiance dans le progrès : à chaque erreur, l'Homme est capable de se corriger. Il l'a toujours montré...

En 1967, les noms d'Amoco Cadiz, de Tanio, d'Olympic Bravery, d'Erika, de Gino ou de Boehlen sont parfaitement inconnus. Pourquoi d'ailleurs les connaître ou les imaginer, puisque les leçons de la marée noire du Torrey Canyon seront tirées, politiquement, techniquement et même culturellement.

Le naufrage du Torrey Canyon restera une catastrophe isolée qui ne doit pas nous noircir les idées : Serge Gainsbourg en témoigne avec légèreté, et l'Histoire retiendra qu'il aurait mieux fait de tomber malade le jour où il commit ce produit culturel définitivement décalé.





Yann, Sonjoù ar meilher.
 
Le CEDRE présente une cartographie mondiale très instructive des catastrophes maritimes.

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