lundi 14 juin 2010

Bientôt sortie de l'écurie

Le type en blouse blanche qui coupe plus vite que son ombre a regardé aujourd'hui la signature qu'il m'a laissée sur le ventre. Il était super content, il se trouvait même assez excellent. J'aurais préféré un joli tatouage, ce sera une bête ligne droite.

Mais j'aime bien les lignes droites. D'abord, elles resteront définitivement la façon d'aller d'un point à un autre le plus vite possible. Et croyez-moi, quand on vous ouvre la peau, c'est plutôt bien. Ensuite, parce que la perfection de la ligne droite révèle la sobriété du coupeur. Là-dessus, on n'est jamais trop prudent.

Mais ce que j'ai préféré de notre petite entrevue, c'est de savoir que ça y est, le cuir du cow-boy est refermé pour de bon. Un bon gros cuir bien costaud, capable de flanquer le coup de hanche nécessaire pour lancer le cheval au galop. Ma monture désespérait de me voir chaque jour préférer ma caisse en tôle bourgeoise et feutrée. Je lui ai dit ce soir qu'elle avait intérêt à être en forme, car la sortie de l'écurie est pour bientôt.

En remerciement, elle m'a fait briller quelques chromes dans la pénombre du garage.



Ar Meilher, Les pensées du meunier.

mardi 1 juin 2010

Copie conforme ?


Le dernier film d'Abbas Kiarostami pourrait paraître bavard et intello. Il l'est sans doute, et il vous faudra franchir le premier quart d'heure pour réaliser que, finalement, l'entrée de la salle méritait d'être payante.

Thème difficile à aborder, avec le risque évident de tourner en rond et de lasser... Au début, ce sont les paysages doux et pastel de la Toscane qui sauvent la production et retiennent l'œil. Une route, des virages, des arbres qui sembleraient identiques et qui ne le sont pas. Chacun est original, nul n'est copie d'un autre. Une route sans but apparent, qui réunit dans une voiture un couple qui a été, ou qui va être, ou qui est...

Nous cherchons tous à refaire. Refaire ce qui a été. Retenter en rêve ou en chimère la séduction du premier jour. Revivre le premier jour, cette nuit de noces, cette nuit d'amour si présente en nous, mais si définitivement éloignée. Nous voulons tous que l'original se poursuive à l'infini, nous tende perpétuellement, alors qu'il n'est plus et ne sera plus, et que nous devrons nous satisfaire de copies quotidiennes. Peut-être presque aussi belles que les moments originaux, mais qui ne sont malgré nous que des copies.

Peu importe que ce couple ait vécu quinze ans ou mille ans, ou un quart d'heure. Le film nous fait hésiter entre l'instant présent et l'amnésie du passé. Son amnésie à lui. Quant à elle, incarnée par une Juliette Binoche admirable de candeur, de naïveté et de sensualité, sa mémoire semble s'être arrêtée à l'original. Le mariage, le lit de noces, l'odeur d'homme de l'oreiller plus présente que jamais.

Nous vivons tous plongés dans cette mémoire du passé original, absents du temps présent qui n'en serait qu'une copie, au risque du repli ... ou, au contraire, présents dans chaque instant d'aujourd'hui, dans chaque original éphémère qui ne connaîtra jamais de copie ou d'écho à venir, au risque de l'amnésie.

Ar Meilher, Les pensées du meunier.